Dans le cadre du festival « Point d’orgue » 2016, organisé du 16 au 25 septembre 2016 par le département du Pas-de-Calais, nous avions décidé d’aller au concert de Sylvain Heili à la collégiale d’Aire sur la Lys (62). C’est avec un plaisir immense que nous avons pu écouter cet organiste d’exception, qui nous a concocté un répertoire classique de très haut niveau (et oui nous sommes fans de jazz et de blues…. mais pas seulement). Ce fut pour Chtijazz.com l’occasion d’apprendre que Barbara Dennerlein, organiste de jazz allemande, se produirait le samedi 24 septembre à Calais.
Avec la complicité de Bernard Hédin, Directeur artistique du festival, une rencontre a donc été organisée le samedi 24/09, à l’auditorium Didier Lockwood du Conservatoire de Calais (62). Revenons un instant sur la programmation de ce festival, qui a réellement été exceptionnelle. Bernard Hédin et son équipe sont sortis des sentiers battus, ce qui assez rare, avec des artistes peu programmés en France et qui sont pourtant des références mondiales.
Barbara Dennerlein est une artiste que nous suivons depuis plusieurs décennies. Elle est sans aucun doute l’une des meilleures organistes de jazz de notre époque….. Peu présente sur la scène française, (quel dommage !), Barbara se produit principalement en Allemagne, en Suisse et aux USA, où elle compte de nombreux fans.
Barbara Dennerlein est née le 25 septembre 1964 à Munich en Allemagne. Nous pourrions dire que son signe particulier est : « Née jazzwoman ». Le jour de notre rencontre, nous sommes à la veille de son anniversaire. Cette musicienne s’illustre par une pratique exceptionnelle de son pédalier basse à l’orgue Hammond, et surtout par l’utilisation de banques de sons qui lui sont propres et qu’elle y incorpore.
C’est un cadeau de Noël, et les encouragements de son grand-père, qui vont conduire Barbara Dennerlein sur la voie de l’orgue. A l’âge de 11 ans, ses parents lui offrent un clavier Honner. Pour Barbara, c’est le coup de foudre, et elle ne va plus lâcher l’instrument. Ses parents, passionnés de jazz, vont lui offrir des cours auprès de l’organiste Paul Greisl. Ce dernier possède un orgue Hammond B3. Barbara découvre alors qu’elle peut y jouer les basses au pédalier, contrairement à son orgue Honner. L’orgue Hammond B3 n’étant plus fabriqué, avec ses parents, elle va faire des recherches et réussir à en acquérir un d’occasion. L’histoire dit que cet orgue aurait été fabriqué pratiquement lorsqu’elle est née.
Dès l’âge de 14 ans, Barbara Dennerlein monte sur scène, où elle étonne le public. Elle a déjà un jeu qui la caractérise encore aujourd’hui… dynamique, tonique…. Elle est surnommée « L’organiste tornade de Munich » (Orgeltornado aus München), suite à une prestation télévisée étonnante pour son âge. Barbara va se produire avec de nombreux musiciens qui sont plus âgés qu’elle. Elle n’est pas pour autant effrayée. Barbara est déterminée et se positionne en « lead ». En 1985, à 20 ans seulement, elle crée son propre label Bebab. Elle veut être indépendante, mais sait surtout que la maison Hammond ne la soutiendra pas. En effet, le groupe Hammond veut promouvoir les nouveaux modèles de sa marque et la promotion d’une artiste au « B3 » n’aurait pas forcément été d’actualité. Elle va néanmoins enregistrer par la suite plusieurs albums pour Verve et Enja. Sur ces enregistrements, elle est associée à Randy Brecker Ray Anderson, Roy Hargrove, Mitch Watkins, Charly Antolini/ Oscar Klein et Dennis Chambers.
Barbara cherche en permanence à faire évoluer les sons de son « B3 ». Elle va faire greffer un système midi à son pédalier pour pouvoir en sortir des sons acoustiques (comme ici avec Georgia) …..Ça marche, elle est encouragée ainsi à modifier également le clavier pour y jouer des samples. Elle utilise la technologie MIDI et des déclencheurs intégrés aux pédales et aux touches. En 1994, elle « migre » vers l’orgue à tuyaux (orgue d’église), elle y mélange jazz et classique. Trois albums naîtront de cette idée. Barbara n’a pas débuté la musique de façon conventionnelle… Classique puis jazz…. Non, elle était intéressée par le Jazz. Elle y voyait un signe de liberté…les mélanges y étaient possibles. Elle nous confirmera ce qu’elle avait déjà déclaré à ce sujet : « Pour moi, le jazz est synonyme de liberté. C’est l’absence de préjugés et de discrimination. C’est la liberté sans contraintes ni conventions. C’est ma propre définition du jazz que je veux transmettre à l’auditeur. Qu’il soit jeune ou vieux, traditionaliste ou moderniste, fan de jazz ou fan non-jazz. »
Même si Barbara joue des reprises, elle est surtout une compositrice de talent. Les morceaux qu’elle compose varient et parcourent tous les styles rythmiques. Ses tendances sont hard bop et post bop. Ses compositions sont souvent caractérisées par les modifications de « pulse » sur un même morceau. Les batteurs qui l’accompagnent doivent s’accrocher….. Il faut être vigilant, elle enchaîne les 3/4-4/4… des harmoniques tellement étonnantes et différentes.. Bref , elle nous fait du Barbara Dennerlein.
Lorsque nous arrivons à l’auditorium Didier Lockwood de Calais, Barbara vient d’arriver avec son batteur Drori Mondlak, un article lui sera d’ailleurs prochainement consacré. Le matériel est installé, la balance commence. Nous allons la saluer et elle est ravie de retrouver « Emma » dans un allemand parfait. Il faut reconnaître que les français ne sont pas toujours très à l’aise avec l’anglais et encore moins avec l’allemand.
Barbara est tout de suite chaleureuse et affable. Nous la laissons se concentrer sur la balance. Elle va être « super sympa » avec tous les techniciens jusqu’à la fin de son concert. A la fin de la balance, nous sommes rejoint par Bernard Hédin, Directeur artistique du festival « Point d’Orgue ». Bernard Hédin lui demande si elle veut être présentée et si elle souhaite de l’aide pour les interventions en français entre les titres…. Très simplement, elle décline, et veut s’adresser elle-même au public en français. Elle va d’ailleurs s’en sortir avec brio.
Nous partons ensemble dans sa loge avec son batteur : Choix de la playlist… C’est parfait, la compréhension entre les deux est immédiate. Drori Mondlak s’efface… Nous entamons une discussion informelle, elle complimente « Emma » sur la couleur de son blouson. J’ai l’impression d’assister à une discussion entre « copines de longue date ».
Chtijazz : Barbara, vous jouez ce soir en duo avec le batteur Drori Mondlak, selon vous, qu’est ce qui caractérise un bon batteur ?
Barbara Dennerlein : Un sens du rythme implacable, savoir être décalé mais dans le tempo, avoir du swing, de la finesse, de la dynamique dans le jeu, savoir changer de tempo plusieurs fois lors d’un morceau, savoir aussi jouer « toute en retenue », de façon subtile, ne pas en mettre « trop », la musique doit respirer…
Chtijazz : Préférez-vous jouer la basse vous-même au pied, ou être accompagnée par un bassiste ?
Barbara Dennerlein, la réponse fuse avant même la fin de ma question : oh non alors, jamais je ne joue avec un bassiste (ou très rarement), je fais les basses moi-même, cela fait partie de moi, j’adore cela, et c’est aussi pour cela que j’ai choisi cet instrument !
Chtijazz : Vous êtes une des meilleures organistes du monde, avez eu de nombreuses récompenses, quel est votre rêve absolu ?
Barbara réfléchit quelques instants avant de répondre….
Barbara Dennerlein : En fait, j’ai beaucoup de chance, car j’ai réussi à faire, depuis la fin de mon adolescence, ma propre musique, avec mon propre label « Bebab » (contraction de bebop et Barbara), et à trouver un public fidèle qui me suit …..Déjà cela était un rêve qui s’est accompli, et la deuxième partie du rêve s’est également accomplie puisque j’ai joué ma propre musique avec un orchestre symphonique et des grands noms new-yorkais… D’ailleurs à ce propos j’adore Pat Metheny…. Non franchement, je suis comblée, et le rêve est donc que j’espère avoir encore longtemps cette chance de faire la musique que j’aime et de trouver le public réceptif pour cela….
Chtijazz : Vous allez du projet solo, au projet avec orchestre symphonique, avez-vous une préférence ?
Barbara Dennerlein : Comme dit précédemment, jouer ma propre musique avec un orchestre symphonique a été une expérience grandiose, mais j’aime tous les concepts, du solo, à la grande formation, tous les projets sont intéressants, mais il faut que le feeling humain soit au rendez-vous. Je ne peux pas faire de la bonne musique et être inspirée avec des musiciens aussi doués soient ils, que je n’apprécie pas humainement.
Chtijazz : Vous avez pas mal joué de l’autre côté de l’atlantique, que pensez vous de la scène jazz américaine en comparaison de la scène jazz allemande, européenne?
Barbara Dennerlein : En parlant des Etats-Unis, je suis frustrée et triste, car j’ai un public qui me réclame et me demande quand je vais revenir jouer…. Il est devenu quasiment impossible pour un artiste européen d’obtenir une autorisation, ou alors à coup de milliers d’euro d’avocats et encore ! A contrario, les artistes américains de la scène jazz et blues viennent en Europe et tournent sur les festivals… D’ailleurs c’est en Europe bien souvent qu’ils gagnent leur argent…. La scène de jazz européenne est fabuleuse, de très bon niveau, il y a de nombreux artistes très talentueux.
Chtijazz : Avez-vous des projets d’albums prochainement ?
Barbara Dennerlein : Je viens de sortir un album chez Sony le 02/09/2016 « My Moments », CD enregistré en live en Suède sur Hammond B3 et orgue à tuyaux. D’ailleurs ces dernières années, je me suis mise de plus en plus à faire des concerts sur orgue à tuyaux (orgue d’église). Cela a surpris au départ, puisque je suis connue pour le jazz, et de ce fait, certaines personnes qui ne me connaissaient pas dans mon répertoire jazz, sont venues m’écouter, et ont découvert mon univers. Cela me permet également d’avoir un nouveau public, et de faire tomber certains préjugés sur le jazz
Chtijazz : Barbara, vous venez très peu en France, est-ce un choix de votre part ?
Barbara Dennerlein : Absolument pas, bien au contraire, j’adore la France, mais malheureusement je ne suis pas souvent invitée, je suis d’ailleurs très heureuse d’être ce soir à Calais. A bon entendeur……
17h55 … Time is time, nous regagnons la salle, dans laquelle un public nombreux est arrivé entretemps. Le show commence, Drori Mondlak rejoint seul sa batterie…. Le tempo est donné, précis…. 12 mesures plus tard, Barbara est installée au « B3 ». Elle est extraordinaire…. Un jeu de basse incroyable au pied.. Rapidité, précision…. Un show de 1h30 non stop… Elle prend la parole pour présenter elle-même ses titres… Elle a de l’humour et elle va séduire le public.
Nous nous retrouvons à la fin du concert. Elle prend le temps de rencontrer ses fans, de discuter. Puis peu à peu la salle s’est vidée. Nous échangeons encore et encore. Barbara et Drori Mondlak remercient chaleureusement les techniciens.
Décidément, Barbara Dennerlein, nous dirons d’elle : Talentueuse, belle, humble, d’une extrême gentillesse et d’une grande douceur…What else !
Pour finir de vous convaincre, voici un petit « Organ Boogie » composé par Barbara, accompagnée par Drori Mondlak, cliquez ici