Il était difficile de ne pas lui faire son portrait. Nous avons rencontré Pierre Carrière mi 2013. Il m’avait été dépeint dans ces termes :…… « Tu verras, c’est un personnage ». Je n’ai pas été déçu. Pierre est un colosse qui m’a immédiatement fait penser à un doux mélange de Depardieu et de Gainsbourg…. ou peut-être de Philippe Noiret dans le film « Alexandre le bienheureux » . Il a une prestance, une gouaille… interpelle les filles par un…. « Ma p’tite chérie… ». Lors d’une répétition, il est capable de vous descendre ou de vous féliciter d’un regard. Ce regard… de grands yeux bleus qui en disent plus que les mots que l’homme ne voudra souvent pas prononcer.
Il est capable, à l’emporte-pièce, de rabrouer un musicien : Un jour, nous étions dans un restaurant de Roubaix. Nous étions en quatuor (batterie, basse, clavier, trompette) autour de la chanteuse Emma Belpièri. Pierre était venu nous écouter, je crois pour la première fois. Le trompettiste (qui est un de ses amis) avait eu quelques difficultés à transposer (ce qui était passé inaperçu pour l’auditoire). A l’issue des applaudissements, Pierre lui avait adressé : ….. « François*, demain matin retour en classe de solfège pour apprendre à transposer ».
En fait, ce colosse est un écorché vif… l’origine, peu importe, elle lui appartient. Pierre a besoin qu’on l’aime. Il donne l’impression de douter de l’affection qui lui est adressée. Alors, pour s’échapper, il fait le pitre.
Il est impressionnant cet homme, capable de vous faire l’histoire de tous les jazzmen et de leurs styles, capable de copier leur style…. Capable de se déguiser en tutu rose et apparaître pour l’occasion sur scène, capable de vous déclamer une poésie. Pierre est un aussi bon pianiste classique que pianiste de jazz, ce qui mérite d’être souligné car ce n’est pas courant d’exceller dans les deux disciplines.
Pierre, c’est celui qui décide d’un coup…. Je me souviens qu’à deux reprises, nous l’avions suivi dans des restaurants de la métropole lilloise (Le Triez et L’Olivier) où il se produisait avec Hubert Quertigniez (basse) et Jean Louis Raison (batterie). Alors qu’il avait décidé d’une pause, il est revenu immédiatement derrière son clavier et m’a ordonné de prendre la batterie. Je ne me suis pas fait prier (d’ailleurs aurais-je eu le choix ?), bien qu’impressionné devant Jean Louis Raison, qui fut mon premier professeur de batterie, j’avais 11 ans. Je garde ces deux soirées en souvenir, la première « Aux Oliviers » pour l’ambiance et la « grande forme » de Pierre. La seconde, pour m’avoir lancé sur « Take Five » où je ne fus rassuré qu’en croisant le regard d’un Jean Louis Raison conciliant.
Pierre Carrière vient de la famille PIERS de Roubaix (59). Il en est fier. Petit-fils et fils de musicien, il a d’abord vécu dans les quartiers « Nord » de Roubaix. Ce qui est frappant lorsqu’il vous raconte son enfance, là où chacun d’entre nous parlerait en nommant ses parents par « Mon père » ou « Ma mère », Pierre emploie « Mon papa » ou « Ma maman ». Dans ces moments où il raconte son enfance, il prend une voix d’enfant. Il passionne par sa tendresse.
Il grandira en jouant dans les églises pour quelques francs, puis ira au conservatoire. Il y sera professeur à Tourcoing, où il finira sa carrière en 2014.
Il formera bon nombre d’élèves talentueux dont l’excellent Simon Fache. Simon Fache écrira en légende d’une photo prise avec Pierre et publiée sur Facebook.. « Mon deuxième papa ». Je suis intimement convaincu que la succession musicale de Pierre est maintenant chez Simon Fache.
2015, comme un point d’aboutissement, Pierre Carrière mettra sur scène le spectacle DO RAY MI FATS. Une rétrospective des carrières de Ray Charles et Fats Domino. Il sera sur scène avec deux pianos : Un noir et un blanc (belle symbolique). Il va s’entourer de vieux compagnons de route pour le pupitre rythmique, Jean Louis Raison à la Batterie et Hubert Quertigniez à la Basse, Alain Maréchal au saxo. Il va y adjoindre les « héritiers » Simon Fache (clavier et trompette), David Rémy (guitare), Cédric Gilmant (trombone et saxo) et Thibaut Hien (Saxo), ce dernier réalisera les arrangements. Lors de ce show, nous serons extatiques devant les battles de saxos, un chorus de batterie extraordinaire de Jean Louis Raison…..du Grand Jean Louis Raison. Il y a aura un moment magique, ……… chanté par Hubert Quertigniez. Là, je peux vous dire que l’espace de quelques secondes, j’ai cru que Ray Charles était sur scène….Une émotion vive nous a envahie. J’ai rarement eu les larmes qui me sont montées comme à ce moment là …. Merci « BuBu » (surnom donné par Pierre Carrière à Hubert Quertigniez).
Le spectacle DO RAY MI FATS sera joué trois fois au Colisée de Roubaix, une fois à Roncq. Pierre a évoqué le souhait que quelqu’un prenne la relève, en vain. A ce jour, le piano blanc a été reconditionné dans sa couleur d’origine. « Bubu » (installé depuis de nombreuses années dans le sud), interrogé sur une nouvelle date me répondra… : « Je laisse ma place aux jeunes ».
Pierre Carrière …. Le personnage des nuits lilloises arrêtera-t-il réellement ? C’est vrai qu’il a connu beaucoup de choses dans les années 1970 : « Cave aux 100 bières » dans les sous sols du Vega Store de Lille, chez Harry rue de Paris à Lille, les pianos bars d’hôtels, Bray Dunes, …….
Nous avons sollicité de « Pierrot » une interview, il nous a répondu « Je te remercie beaucoup de ta proposition mais ayant décidé, comme vous le savez, de mettre ma carrière entre parenthèses, je préfère ne pas y donner suite, pour l’instant tout au moins ».
Alors nous arrêterons cet article sans y mettre de point final, en espérant que Pierre viendra un jour nous raconter de belles histoires….
